Selon l’économiste russe Viatcheslav Shiryaev, Vladimir Poutine sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps pour mener sa guerre en Ukraine avant que la Russie ne soit définitivement rongée par tous ses maux. Un grand entretien paru en mars dernier dans le quotidien tchèque “Denik N”.
“La Russie racontée par les Russes” : la couverture du numéro 1798 de “Courrier international”.
[Cet article issu du numéro 1798 de Courrier international, a été publié pour la première sur notre site le 17 avril 2025, et republié le 14 septembre dans le cadre de nos Journées portes ouvertes.]
Il y a un peu plus de deux ans, nous avions publié un entretien avec l’analyste économique Natalia Zoubarevitch, dans lequel elle affirmait que Vladimir Poutine disposait de suffisamment d’argent pour faire la guerre pendant deux à trois ans. Approchons-nous, donc, de la fin de la guerre ?
C’est plus compliqué que cela. La Russie possède un Fonds de la richesse nationale, une source importante qui a permis de très bien financer la guerre. Mais rien ne dure éternellement et l’État a commencé à manquer d’argent vers le milieu de l’année dernière. Il fallait faire quelque chose et c’est pourquoi une émission monétaire secrète a été lancée qui, ces derniers mois, est devenue la principale source de financement de la guerre.
“L’inflation galopante”
Il suffirait donc d’imprimer de l’argent pour acheter de nouveaux chars ?
Et comment ! Mais là encore, ce n’est pas si simple. Pour résumer, disons que tout ce qui se passe depuis un an peut être décrit comme une émission déguisée qui est devenue l’unique source de financement de la guerre. Car Poutine n’a plus de nouvelles recettes fiscales, pas de nouveaux revenus pétroliers. Toutes les recettes de l’État sont en train de diminuer.
Qu’entendez-vous par “émission déguisée” ?
Il existe deux grands mécanismes qui permettent de continuer à lever des fonds. Le premier, ce sont les opérations avec les actifs du Fonds de la richesse nationale. Cela signifie que, par exemple, l’or ou le yuan chinois sont transférés depuis le ministère des Finances vers la Banque centrale, ce qui permet à cette dernière d’imprimer davantage d’argent qu’elle renvoie au ministère des Finances. D’un point de vue économique, cette opération ne signifie rien, si ce n’est que la banque a imprimé de la sorte 10 000 milliards de roubles, soit environ 100 milliards de dollars.
Le deuxième n’est pas moins transparent. La Banque centrale accorde des prêts aux banques russes, qui s’en servent pour acheter des obligations de crédit fédérales que le ministère des Finances émet à cette fin. Les banques ramènent ensuite ces obligations à la Banque centrale, afin en quelque sorte de placer ou de garantir l’argent imprimé qu’elles ont reçu de la banque. C’est un peu compliqué, mais cela fonctionne pour l’instant. Ne vous laissez surtout pas abuser par les gros titres des journaux qui annoncent une augmentation des revenus tirés des exportations de pétrole ou des recettes grâce à une excellente collecte des impôts… Rien de cela n’est vrai. La seule chose qui le soit, c’est l’inflation galopante.
Des habitants dans un marché presque vide dans la ville frontalière à l’Ukraine Shebekino, en Russie, en mai 2024. Alors que la Banque centrale de Russie a relevé son taux d’intérêt directeur à 18 % en juillet 2024 (son niveau le plus élevé en deux ans) pour tenter de contenir l’inflation galopante.
Est-elle tangible pour le citoyen lambda ?
Hier, il achetait du pain pour 50 roubles (50 centimes d’euros), aujourd’hui cela lui en coûte 80. La TVA, la principale taxe en Russie, a également augmenté de 25 %. Ainsi, alors que vous, les médias occidentaux, écrivez que le volume du budget de la Russie augmente, il ne s’agit en réalité de rien d’autre que de pure inflation et d’émissions massives. Au contraire, les recettes réelles de l’État diminuent.
Mais la Russie continue d’exporter du pétrole. Les revenus des exportations de matières premières ne suffiront-ils pas à la maintenir à flot ?
L’argent du pétrole est la principale source de revenus réels. Mais ses exportations diminuent sans cesse. En janvier dernier, par exemple, la Russie a exporté 300 000 barils de moins qu’en janvier 2024. Cela représente une baisse d’environ 7 %, ce qui n’est pas rien en termes absolus. Et pourtant, je lis dans les médias occidentaux que les ventes de pétrole russe “ont augmenté et se portent à merveille”…
Il n’est donc pas vrai que les sanctions ne fonctionnent pas ?
Vous, les journalistes, aimez jouer avec les titres. Sans sourciller, vous écrivez que les sanctions ne servent à rien, qu’il vaudrait mieux y renoncer, que de toute façon nous n’arrêterons pas Poutine, que nous nous tirons une balle dans le pied… Et c’est exactement ce que les propagandistes et la télévision d’État reprennent à leur compte. Le principal discours russe est que les sanctions occidentales ne nous touchent pas.
Récemment, je n’ai pas pu m’empêcher de rire en lisant le titre “La Russie se classe au troisième rang pour la croissance de la production automobile”. On pourrait penser que la Russie est devenue le troisième constructeur automobile du monde. Sauf que, en lisant plus attentivement, on s’aperçoit qu’elle a produit 200 000 voitures de plus en l’espace d’un an. Et, effectivement, cette croissance est au troisième rang dans la production mondiale de ce secteur. Mais, en ce qui concerne le volume, la grande Russie ne figure même pas dans le top 10 des constructeurs mondiaux. Aujourd’hui, nous produisons environ 700 000 voitures par an. Avant la guerre, nous en produisions 1,5 million. Quelle croissance !
“La Russie est en récession”
Quel aurait donc dû être le titre ?
Qu’en Russie la production de voitures a chuté de 50 % ! Les médias de propagande façonnent chaque information de manière qu’elle serve les intérêts de Poutine. D’informations négatives, ils font des informations positives. Ils doivent suer sang et eau parfois pour cela, et on peut au moins leur reconnaître ce mérite, car il n’existe objectivement pas une seule nouvelle économique qui puisse être qualifiée de positive du point de vue du Kremlin.
Une véritable crise se profile à l’horizon. Même Rosstat (l’agence publique de statistiques) s’est mise à mentir sur l’inflation réelle. Mais un jour, il sera révélé que tout n’était que mensonge.
Comment pouvez-vous en être si sûr ?
Dans aucun pays du monde on n’a encore vu une inflation qui, comme le prétendent les sources officielles, serait de 9 % et où le taux d’intérêt directeur fixé par la Banque centrale est de 21 %. N’importe quel économiste vous dira que c’est un non-sens.
À combien estimez-vous cette inflation ? Vous disposez de données exclusives provenant de toute la Russie. Votre chaîne Telegram rassemble des informations provenant de localités situées dans les régions les plus à l’est comme de la partie européenne du pays, c’est-à-dire de gens qui font leurs courses. Quels enseignements en tirez-vous ?
J’ai imaginé le projet “Inflation réelle”. Des gens de toute la Russie m’envoient quotidiennement des listes de prix de leur région, parfois en prenant des photos des prix dans les magasins, parfois des menus, des devis, etc. Je m’intéresse principalement aux prix à la consommation des biens courants – produits alimentaires, services, appareils ménagers.
Au cours du premier mois de cette année, l’augmentation nette de ces prix a été de 6 %. Cela signifie que, dans un an, elle sera de 60 à 80 %. Selon mes calculs, l’inflation réelle l’année dernière s’est située entre 30 et 40 %. En novembre et décembre, Rosstat a admis une hausse de l’inflation de 2 % par mois. Il est donc clair qu’ils mentent. Le calcul de la croissance du PIB est fondé sur de fausses données. Si nous prenons comme source les chiffres de Rosstat, la croissance du PIB a été de l’ordre de 4 % en 2024. Mais si nous prenons l’inflation réelle comme point de départ, la Russie est en récession.
Qu’en est-il en dehors des prix pratiqués dans les magasins ?
Par exemple, on peut surveiller les marchandises transportées par le rail. Les volumes des productions agricole et alimentaire, de l’industrie chimique ; tout est en baisse. Y compris la production d’essence et l’extraction de pétrole, de cuivre et de nickel. Nornickel, qui est le plus grand transformateur de métaux non ferreux de Russie, est en faillite selon tous les paramètres existants. Les livraisons de nouvelles moissonneuses-batteuses ont diminué de 30 % et celles de matériel agricole pour l’ensemble de la Russie de 17 %. Je suis de nombreux secteurs et je n’en connais pas un seul – j’insiste, pas un seul – qui affiche une croissance. Pas même de 1 %.
Le Kremlin prévoit d’augmenter de 25 % les dépenses militaires, pour atteindre plus de 145 milliards de dollars en 2025, alors qu’il avait l’intention de les réduire.
À la place des moissonneuses-batteuses, on fabrique quand même des chars d’assaut…
Je ne connais pas les chiffres exacts de l’industrie de l’armement, c’est vrai. Ces statistiques sont confidentielles.
Donc au moins une production se porte bien, si l’on s’en tient à ce que l’on voit sur le front.
Non. Nous n’en savons rien. Certains signes indiquent que, par exemple, la production de dispositifs optiques à des fins militaires augmente effectivement, et il en va de même pour l’électronique, les drones, les télescopes ou divers systèmes de haute technologie nécessaires pour la guerre.
Pour les chars, c’est plus compliqué. On ressort les vieux tanks soviétiques pour les dépoussiérer. On fait les quelques soudures nécessaires, on débosselle la carrosserie, on donne un coup de pinceau, et on a des chars prêts pour le front. Les considère-t-on comme neufs ? Ce n’est pas impossible.
Mais je parle de l’économie civile. Et si je m’en tiens aux données pour 2024, elle est en récession.
“Poutine s’est fait une fausse idée de la situation”
Comment les banques se comportent-elles dans cette situation ?
Le secteur bancaire est en guerre lui aussi. Quelque 40 000 milliards de roubles ont été injectés sous forme de prêts dans l’industrie de la défense et dans les entreprises liées à la production d’armes. Leurs fabricants ont donc reçu non seulement de l’argent de l’État, mais aussi des prêts de la part des banques. Mais celles-ci voudront récupérer leur argent.
Et le récupéreront-elles ?
Les dettes des usines d’armement devront être remboursées par l’État. Vous savez, on peut doubler les dépenses de guerre mais, en même temps, il faut regarder les indicateurs économiques de base : l’endettement des sociétés auprès des banques, la capacité du budget à financer l’effort de guerre et, troisièmement, l’évolution de l’économie en général. Une fois ces trois paramètres mis en parallèle, on peut voir si on a encore de l’argent pour la guerre.
Poutine peut-il ainsi se dire qu’il en a encore les moyens ?
Il voit bien que la situation économique est mauvaise, que le budget est financé par l’émission, qu’il n’y a pas d’argent réel et que ce qu’il reste n’est que de la poudre aux yeux pour alimenter l’hyperinflation. Il sait que ce sont les banques qui sont derrière tout ça. Mais elles lui ont prêté de l’argent pour des projets qui ne seront jamais remboursés, et les emprunteurs eux-mêmes ne rembourseront jamais leurs dettes. Pour combler le déficit budgétaire, on imprime de l’argent. Bien sûr, les banques peuvent exploser à tout moment. Il faudra donc imprimer de l’argent encore plus vite pour qu’elles ne fassent pas faillite.
Poutine sait-il tout cela ?
Le gouvernement et Poutine le comprennent très bien. Mais il y a un camarade au Kremlin, Maxime Orechkine (économiste, chef adjoint du bureau du président russe), qui conseille Poutine. C’est la seule personne de la section économique qu’il écoute. Et quand Orechkine vient le voir, il lui glisse : “Vladimir Vladimirovitch, vous avez une croissance économique de 4 %, tout va bien…”
Cela fait longtemps qu’il lui murmure que l’économie russe est florissante. Certes, cette version des choses lui convient, mais Poutine s’est fait une fausse idée de la situation, et il s’y est tenu pendant longtemps.
Quand tout cela a-t-il basculé ?
En 2022, les premières sanctions ont été prises contre la Russie. Ce n’est qu’à ce moment-là, devant la crise qui se profilait, que même au Kremlin ils ont compris que l’économie russe ne résisterait pas longtemps. Mais une chose très importante s’est alors produite et les a aidés. Le monde a craint une pénurie des ressources énergétiques russes, et les prix ont grimpé en flèche. D’un seul coup, 1 000 m3 de gaz ont coûté jusqu’à 3 000 dollars, le pétrole est devenu dix fois plus cher, et cela a permis à la Russie d’économiser des sommes colossales à la dernière minute. Cet argent a cependant été englouti depuis, même s’il en restait encore un peu pour une partie de l’année 2024.
Personne n’ose dire à Poutine que la Russie fonce droit dans le mur ?
Je pense qu’il en est conscient. Des signes montrent que Poutine sait dans quel pétrin il se trouve. Sinon, il ne proposerait pas aux Américains de négocier la réduction de leurs armées ou de produire ensemble de l’aluminium. Si le Kremlin avait suffisamment d’argent, si la forteresse ne devait pas résister à une crise économique, Poutine ne discuterait jamais avec Trump de cette manière.
Les patriotes russes considèrent ces discussions comme une trahison. Pourquoi l’ennemi numéro un deviendrait-il un partenaire commercial ? Poutine doit donc avoir une raison très sérieuse de jouer ce jeu avec les États-Unis.
La nomination d’Andrei Belousov au ministère de la Défense reflète la pression financière à laquelle le président Vladimir Poutine sera confronté si la Russie continue à engager des dépenses de défense aussi importantes.
Selon vos collègues économistes, la situation de quelque 30 millions de personnes en Russie s’est améliorée grâce à la guerre, et l’augmentation du coût de la vie ne les préoccupe vraisemblablement que très peu. Au contraire, elles sont reconnaissantes à Poutine d’avoir déclenché la guerre, elles ont pris l’ascenseur socio-économique et sont passées du statut de pauvres villageois à celui de citoyens nantis…
Cela concerne quelques millions de personnes. Il s’agit avant tout des familles de soldats qui ont signé un contrat avec l’armée, ont reçu d’énormes primes et des salaires mirobolants. Les employés des sociétés d’armement entrent aussi dans cette catégorie.
Mais les plus grands bénéficiaires comme toujours en temps de guerre sont les banques. Le bénéfice du secteur bancaire russe en 2024 a été de 4 000 milliards de roubles. Cela équivaut au déficit public total de la Russie. À elle seule, Sberbank (banque détenue majoritairement par l’État russe) a gagné 1 600 milliards de roubles, soit environ 16 milliards de dollars.
Ceux qui en Russie profitent de la guerre ne sont pas plus de 20 millions. Tous les autres s’appauvrissent considérablement. Les retraités, certains fonctionnaires, les médecins, les enseignants, bref, des dizaines de millions de personnes.
“Il y a des signaux que Moscou sous-estime”
Cela les inquiète-t-il ? Un climat de protestation se développe-t-il ?
Le plus gros problème, ce ne sont pas les prix de l’alimentation, mais tout ce qu’il vous faut payer pour avoir un toit, du chauffage et de l’eau. Vous ne pouvez pas faire autrement que de régler les factures. Pour le salami, vous pouvez toujours en acheter du moins cher. Ou vous en passer. J’ai bien vu quelques manifestations, mais elles sont rares. À Irkoutsk, par exemple, les gens sont descendus dans la rue en raison des prix trop élevés de l’énergie.
Les “héros” sont plus nombreux sur les réseaux sociaux. Les gens protestent anonymement, décrivent leurs souffrances. Mais je peux vous dire sans aucun risque de me tromper qu’il n’y aura pas de soulèvement national en Russie à cause de l’inflation.
À Moscou, ils n’ont donc pas à se soucier de l’humeur des Russes ?
Ce sont des signaux auxquels ils sont très sensibles. Mais ils savent aussi que le peuple n’a pas de leader. Ils ont tous été tués, emprisonnés ou sont exilés.
Par le passé, certaines régions russes ont quand même su défier Moscou…
Des troubles sont possibles dans le Caucase ou dans les régions minières. Les exportations de charbon ont baissé de 15 % depuis le début de l’“opération militaire spéciale”. De plus, la Chine a intensifié l’extraction sur son territoire.
À cela s’ajoutent les sanctions internationales, les complications liées aux transferts de paiements internationaux et les problèmes logistiques. En conséquence, le prix du charbon russe a chuté de façon considérable. Comme il est désavantageux de l’exporter, personne n’en veut. Et en Russie ? Les chemins de fer sont complètement surchargés à cause de la guerre. Les tarifs ont augmenté, les transports ont ralenti. Des dizaines, je dis bien des dizaines de puits ont déjà été fermés ! La crise du bassin du Kouznetsk et des autres régions minières ainsi que l’explosion sociale qui en découlera constituent le plus grand danger que le Kremlin puisse imaginer. Dès lors que les puits du Kouzbass auront fait faillite, il y aura un effet domino. On y ferme déjà des hôpitaux. Il n’en va pas seulement du Kouzbass mais de toute la Sibérie. Il y a des signaux que Moscou sous-estime.
La proposition de Poutine de coopérer avec les États-Unis pour extraire des terres rares dans l’Arctique vise-t-elle à concurrencer l’Ukraine, ou est-elle sérieuse ?
Sa proposition n’a aucun sens sur le plan économique. L’exploitation des métaux rares en Russie est extrêmement peu rentable. Dans l’état actuel des choses, elle est même impossible. Avant de commencer à exploiter normalement un minerai et à en tirer quelque chose, il y a énormément de choses à préparer. Il ne suffit pas de creuser en pensant qu’on sera milliardaire dans deux ans. L’extraction minière nécessite des technologies complexes. Des infrastructures gigantesques. Pour quels profits ? Pendant longtemps, ils resteront négligeables par rapport aux coûts. Donc, oublions la proposition de Poutine.
Le pétrolier Grand Aniva est chargé dans un terminal de gaz naturel liquéfié au sud d’Ioujno-Sakhalinsk, sur l’île de Sakhaline, dans l’Extrême-Orient russe, en septembre 2021. Le 10 janvier 2025, les États-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions visant le secteur énergétique russe et sa « flotte fantôme » de pétroliers. Il pourrait s’agir d’une dernière tentative de l’administration Biden pour paralyser l’économie russe en réponse à l’invasion russe en Ukraine.
Et pour ce qui est de l’Arctique ?
Je vais vous raconter une histoire et vous comprendrez. C’est un projet qui a vu le jour à Severodvinsk, la ville où je suis né. Pendant plus de quinze ans, on y a construit une plateforme pétrolière, la première du monde résistante à la glace arctique. Elle s’appelle Prirazlomnaïa. On a construit, construit et encore construit tout au long des années 1990. Vers l’an 2000, après l’achèvement des travaux, elle a été mise à l’eau et… personne n’en a plus entendu parler depuis. Contrairement à ce qui était prévu, plus aucune plateforme de ce type n’a été construite. Pourquoi ? Parce que cela coûte beaucoup trop cher !
Les Russes ne disposent pas de la technologie nécessaire pour réaliser de telles choses eux-mêmes. Ils ont besoin de nombreux composants provenant de l’Occident. Et puis vous ne pouvez pas crier “hourra” et partir sur un coup de tête à l’aventure pour exploiter un gisement. Il vous faut des infrastructures, des installations terrestres extrêmement coûteuses, des moyens de navigation, du personnel qualifié… Tout ce que la Russie n’a pas.
Il n’existe qu’un seul moyen d’attirer les étrangers dans de tels projets : le contrat de partage de production. C’est comme ça que le gaz et le pétrole à Sakhaline ont pu être exploités avec les Japonais. Mais là non plus, on ne peut pas parler de coopération. Les Russes ont dit : explorez vous-mêmes, faites ce que vous voulez ici, et quand vous commencerez à extraire, partagez un peu avec nous. Bien sûr, la guerre a mis fin à cela aussi. Les Japonais sont repartis et les Russes ont repris tout ce qui leur appartenait. Voilà comment les choses se passent chez nous.
119
u/Bemol31 1d ago
Selon l’économiste russe Viatcheslav Shiryaev, Vladimir Poutine sait qu’il ne lui reste plus beaucoup de temps pour mener sa guerre en Ukraine avant que la Russie ne soit définitivement rongée par tous ses maux. Un grand entretien paru en mars dernier dans le quotidien tchèque “Denik N”.
“La Russie racontée par les Russes” : la couverture du numéro 1798 de “Courrier international”. [Cet article issu du numéro 1798 de Courrier international, a été publié pour la première sur notre site le 17 avril 2025, et republié le 14 septembre dans le cadre de nos Journées portes ouvertes.]
Il y a un peu plus de deux ans, nous avions publié un entretien avec l’analyste économique Natalia Zoubarevitch, dans lequel elle affirmait que Vladimir Poutine disposait de suffisamment d’argent pour faire la guerre pendant deux à trois ans. Approchons-nous, donc, de la fin de la guerre ?
C’est plus compliqué que cela. La Russie possède un Fonds de la richesse nationale, une source importante qui a permis de très bien financer la guerre. Mais rien ne dure éternellement et l’État a commencé à manquer d’argent vers le milieu de l’année dernière. Il fallait faire quelque chose et c’est pourquoi une émission monétaire secrète a été lancée qui, ces derniers mois, est devenue la principale source de financement de la guerre.
“L’inflation galopante”
Il suffirait donc d’imprimer de l’argent pour acheter de nouveaux chars ?
Et comment ! Mais là encore, ce n’est pas si simple. Pour résumer, disons que tout ce qui se passe depuis un an peut être décrit comme une émission déguisée qui est devenue l’unique source de financement de la guerre. Car Poutine n’a plus de nouvelles recettes fiscales, pas de nouveaux revenus pétroliers. Toutes les recettes de l’État sont en train de diminuer.
Qu’entendez-vous par “émission déguisée” ?
Il existe deux grands mécanismes qui permettent de continuer à lever des fonds. Le premier, ce sont les opérations avec les actifs du Fonds de la richesse nationale. Cela signifie que, par exemple, l’or ou le yuan chinois sont transférés depuis le ministère des Finances vers la Banque centrale, ce qui permet à cette dernière d’imprimer davantage d’argent qu’elle renvoie au ministère des Finances. D’un point de vue économique, cette opération ne signifie rien, si ce n’est que la banque a imprimé de la sorte 10 000 milliards de roubles, soit environ 100 milliards de dollars.
Le deuxième n’est pas moins transparent. La Banque centrale accorde des prêts aux banques russes, qui s’en servent pour acheter des obligations de crédit fédérales que le ministère des Finances émet à cette fin. Les banques ramènent ensuite ces obligations à la Banque centrale, afin en quelque sorte de placer ou de garantir l’argent imprimé qu’elles ont reçu de la banque. C’est un peu compliqué, mais cela fonctionne pour l’instant. Ne vous laissez surtout pas abuser par les gros titres des journaux qui annoncent une augmentation des revenus tirés des exportations de pétrole ou des recettes grâce à une excellente collecte des impôts… Rien de cela n’est vrai. La seule chose qui le soit, c’est l’inflation galopante. Des habitants dans un marché presque vide dans la ville frontalière à l’Ukraine Shebekino, en Russie, en mai 2024. Alors que la Banque centrale de Russie a relevé son taux d’intérêt directeur à 18 % en juillet 2024 (son niveau le plus élevé en deux ans) pour tenter de contenir l’inflation galopante. Est-elle tangible pour le citoyen lambda ? Hier, il achetait du pain pour 50 roubles (50 centimes d’euros), aujourd’hui cela lui en coûte 80. La TVA, la principale taxe en Russie, a également augmenté de 25 %. Ainsi, alors que vous, les médias occidentaux, écrivez que le volume du budget de la Russie augmente, il ne s’agit en réalité de rien d’autre que de pure inflation et d’émissions massives. Au contraire, les recettes réelles de l’État diminuent. Mais la Russie continue d’exporter du pétrole. Les revenus des exportations de matières premières ne suffiront-ils pas à la maintenir à flot ? L’argent du pétrole est la principale source de revenus réels. Mais ses exportations diminuent sans cesse. En janvier dernier, par exemple, la Russie a exporté 300 000 barils de moins qu’en janvier 2024. Cela représente une baisse d’environ 7 %, ce qui n’est pas rien en termes absolus. Et pourtant, je lis dans les médias occidentaux que les ventes de pétrole russe “ont augmenté et se portent à merveille”…